La dégradation en profondeur

La dégradation en profondeur

La baisse de 8,4 % du nombre de médecins généralistes dit le mal de la France. Le mal profond, pas le mal apparent. Ce dernier est visible tous les jours dans la rue et les manifs, ces temps-ci. Le dialogue social est impossible avec une CGT partie dans une stratégie jusqu’au-boutiste destructive. La tentative hollandienne, idéaliste, d’introduire enfin un peu de germanisme dans les relations avec les syndicats, l’a conduit à un échec cuisant.

Le virage de la CGT était prévisible depuis le départ de Bernard Thibault de la direction de la confédération’; le Parti socialiste aurait dû l’anticiper et imaginer une stratégie en conséquence. Cela ne fut pas le cas, comme pour le reste. Le PS était en 2012 un organe décidément coupé de toute réalité sur l’état de la France, le président de la République l’a payé quelques semaines à peine après son élection’: sur les relations franco-allemandes, sur la situation concrète des entreprises et, donc, sur la possibilité de croire à un « apaisement » du modèle social français. Suite d’aveuglements et de naïvetés.

Mais venons-en au mal profond. La dégradation des conditions de santé des Français. Elle ne date pas de François Hollande. La chute de 8,4 % du nombre de médecins généralistes porte sur les années 2007-2016. Et elle devrait se prolonger et concerner le futur chef de l’Etat puisque, si on tire la courbe jusqu’à 2025, la France va perdre un généraliste sur quatre, selon l’atlas de l’Ordre des médecins. Un sur quatre’! Presque tout le territoire est touché par ce phénomène de non-remplacement des médecins qui partent en retraite.

Les nombreux dispositifs mis en place par les élus locaux, les aides, les loyers offerts, les primes qui vont jusqu’à 50’000 euros dans les zones désertifiées, ne sont pas capables d’enrayer la chute. Et, statistique qui en dit long, l’Ile-de-France est la région la plus atteinte (-18,7 %, près d’1 généraliste sur 9 depuis neuf ans). La fuite ne concerne pas que les campagnes, seuls les Pays de la Loire et la Bretagne enregistrent une petite hausse.

On ne pourra pas se consoler en constatant qu’en parallèle, le nombre des spécialistes augmente’: +7 % sur la période, ils sont 85’000. Ils devraient atteindre 91’000 et dépasser en 2025 les généralistes (qui sont actuellement 89’000). Rien de rassurant puisque le médecin de famille est le premier échelon essentiel de la bonne santé. Il suit les familles de longue date, prodigue les premiers soins et établit la confiance.

Peu rassurant aussi puisque la démographie médicale bouge très vite selon les goûts des jeunes générations de médecins, selon les rémunérations et de multiples facteurs, comme, ce qui est neuf et général, l’exigence des jeunes à avoir une bonne vie personnelle « en dehors de leur métier ». Du coup, on note sur la période une division par deux du nombre de psychiatres de l’enfant (-48 %), un recul de 13 % du nombre de chirurgiens généralistes, de 8,9 % de celui de dermatologues. Des chiffres qui sont d’ampleur et qui méritent qu’au minimum, les dirigeants s’en emparent.

Pour toutes les transformations passées et à venir de la médecine, le « bien commun » de la santé mériterait une autorité de régulation à long horizon et grands pouvoirs.

C’est le premier niveau du mal’: la Haute autorité de santé, organisme indépendant, devrait parler beaucoup plus haut et plus fort, à l’instar de la Banque de France, du Comité d’orientation des retraites ou de l’Autorité de la Concurrence. L’Ordre des médecins a un intérêt principal pour lequel il se bat depuis des années’: la qualité de rémunération de ses membres. C’est très compréhensible. Le ministère de la Santé en a un autre’: faire des économies sous la férule de Bercy. C’est aussi très compréhensible et très nécessaire. Ni l’un ni l’autre n’ont perdu de vue le sens de l’intérêt général de la santé des Français. Mais pour toutes les transformations passées et à venir de la médecine, les conséquences sont telles que le « bien commun » de la santé mériterait une autorité de régulation à long horizon et grands pouvoirs.

Par exemple’: près d’un quart des médecins qui ont acquis leur accréditation l’an passé n’avait pas un diplôme français. Dans le détail’: 11,1 % avaient un diplôme de l’Union européenne et 11,3 % un diplôme non-européen. Et la variation selon les spécialités est très grande. Est-ce un bien » Un mal » Quelles en sont les conséquences objectives » Et dans l’autre sens, mesure-t-on, avec précision, les départs des « talents » à l’étranger » La question se pose aussi des renoncements des plus distingués à l’hôpital public pour le privé. Quelles en seront les effets de long terme sur l’enseignement sur la recherche et sur l’excellence de la santé en France »

Les non-choix, les coupes homothétiques ont pu servir d’aiguillon, pendant un moment, pour les rénovations des méthodes. L’Etat a pu espérer obtenir mieux pour moins de ses dépenses. L’exercice n’est pas fini. Mais le rabotage des crédits a aussi atteint les nerfs dans certains organes vitaux.

Autant d’interrogations sur le socle profond de la qualité de la Santé en France. La médecine française reste encore très performante. Comparée à l’Allemagne par exemple, notre dépense est forte (8,2 % du PIB contre 7 %) mais notre efficience meilleure, selon l’Euro health consumer index, rapporte France Stratégie (22 juillet 2014). Mais la politique générale de rabotage budgétaire conduit aujourd’hui à attaquer les racines profondes du système.

Les non-choix, les coupes homothétiques imposées par le ministère des Finances, ont pu servir d’aiguillon, pendant un moment, pour les rénovations des méthodes. L’Etat a pu espérer obtenir mieux pour moins de ses dépenses. L’exercice n’est pas fini’: il reste beaucoup à faire pour mettre à plat les procédures dans toutes les administrations. Mais comme le montre la démographie médicale, le rabotage des crédits a aussi atteint les nerfs dans certains organes vitaux.

C’est le cas de l’armée’: devant le terrorisme, François Hollande a dû le reconnaître et faire demi-tour pour rétablir des budgets en croissance. C’est le cas aussi des infrastructures énergétiques’: le char de l’Etat est secoué par les événements (Fukushima, les hydrocarbures de schistes) et il n’est plus capable de financer à la fois la rénovation des centrales nucléaires et la nécessaire transition à des énergies durables. Il faudrait dégager des dizaines de milliards d’euros, la question « D’où peuvent-ils venir » » est jusqu’ici sans réponse.

La gestion du transport ferroviaire, autre secteur français qui fut de pointe, a donné cette semaine l’illustration du mauvais gouvernement. Pour faire passer une loi Travail vouée de toute manière à être revue d’ici peu, le gouvernement a cédé sur des changements de long terme sur l’organisation du travail à la SNCF. Il affirme conserver l’important et abandonnant l’annexe’; c’est l’inverse, il choisit la proie pour l’ombre. Le train français s’abîme gravement.

Est-ce le cas pour la santé » La désertification des généralistes en est un grave symptôme.

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